Rencontre entre Chapeautés.

On était en fin d'après-midi. En général, Précieuse préférait faire ses courses -de quelque type qu'elles soient- dans la matinée, parce qu'il y avait généralement moins de monde... Mais sa matinée avait été chargée, alors qu'il lui avait fallu préparer minutieusement la soirée à venir : non, elle n'avait pas demandé l'aide de ses employés, cette fois. Comme quoi il arrivait à Précieuse d'être magnanime... Ou alors, elle avait besoin d'eux pour d'autres raisons, ce qui était bien plus probable. En réalité, elle voulait les garder frais pour cette soirée, qui risquait d'être prometteuse.

C'était aussi la raison pour laquelle elle devait se rendre chez l’apothicaire aujourd'hui : Elle avait tellement mis les petits plats dans les grands pour ce Samhain qu'elle était presque en rade d'ingrédients. Ce qui était inconcevable pour une wiccane de la trempe de Précieuse. Oh, il lui restait de quoi tenir encore quelques jours, bien entendu, pour ses sorts personnels tout comme pour répondre aux besoins éventuels de ses clients les moins légaux, mais il était hors de question qu'elle prenne le risque de se retrouver sans possibilités.

Voilà donc pourquoi elle s'était rendue chez son fournisseur habituel, qui allait pouvoir se vanter de faire avec elle son affaire de l'année. Heureusement, elle pouvait raisonnablement penser que cette soirée allait lui rapporter au moins autant que ce qu'elle avait dépensé, si ce n'était plus. Et si jamais ce n'était pas le cas... eh bien ou moins, elle pourra dire qu'elle se serait amusée, rien qu'avec la tête que feraient ses employés en voyant leurs costumes.

C'est donc avec un sourire amusé, malgré le chèque outrageux qu'elle venait de signer, que la sorcière au chapeau rassembla ses affaires pour quitter la boutique. Alors qu'elle passait la porte, elle remarqua un jeune homme à l'accoutrement étrange : propre sur lui, là n'était pas le problème, mais ce qui attirait l’œil était sans aucun doute ce haut-de-forme agrémenté d'un papillon rouge. Bien placée pour savoir que les chapeaux attiraient l’œil, Précieuse eut un nouveau sourire amusé. Ce gamin (car elle ne lui donnait pas plus de vingt ans), semblait être de ceux que le regard d'autrui ne dérangeait pas... pour ne pas dire qu'il le recherchait. Voilà qui leur faisait un point commun. D'humeur joueuse (ce qui n'était pas toujours une bonne chose, il suffisait de demander à Ailin), la wiccane se décida à adresser la parole au jeune inconnu.

"Votre chapelier a l'air des plus doués."

Comme à mon habitude, j'arpentais les rues de la Nouvelle Orléans accompagné de mon chat, Salem, à la recherche de bonnes affaires, ou de clients potentiels pour mes tirages de tarot. Ma mission du jour était la recherche de quelques composants simples pour un rituel. Je n'avais pas réussi beaucoup de rituels dans ma vie, mais je ne désespérais pas, celui là allait être le bon. Après tout, je ne suis pas Dan Melvin pour rien ! J'entrai alors chez un apothicaire à la recherche de ces précieux composants. Salem, qui savait qu'il n'avait pas le droit d'entrer dans les magasins, miaula pour m'empêcher de rentrer, puis finalement alla se promener dans les rues, déconfit (autant qu'un chat puisse l'être).

Je vérifiai que mes vêtements étaient impeccables, m'aperçut que bien sûr, ils l'étaient, et entrepris de chercher les composants. Ne sachant pas réellement à quoi correspondaient tout ce qui se trouvait devant mes yeux, je fis mine d'être pensif pour sauver les apparences. En effet, montrer mes faiblesses ne serait pas digne de moi ! Je murmurai donc des "Intéressant" et "Hum..." faiblement mais suffisamment fort pour que ceux qui souhaiteraient admirer ma splendeur puissent voir à quel point j'étais connaisseur.

Alors que j'étais perdu dans mes pensées et dans mon effort d'apparence, j'entendis une voix derrière moi, disant :

"Votre chapelier a l'air des plus doués."

C'était une femme très élégante, arborant elle aussi un château. Tout son accoutrement semblait suggérer que ce n'était pas une femme comme les autres. Etait-elle une Wiccane ? Je ne le savais pas réellement, mais cela serait logique. Je décidai d'être gentleman et répondis à l'illustre inconnue :

" Le votre n'a rien à lui envier ! Je me nomme Dan Melvin, enchanté, à qui ai-je l'honneur si ce n'est pas indiscret ? "

En temps normal, Précieuse ne prêtait pas énormément d'attention aux inconnus. Oh, ne croyez pas qu'elle ne le faisait pas involontairement... non, elle choisissait volontairement de ne pas leur prêter plus d'attention que cela. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle ne les remarquait pas. Et, parfois, certains attiraient assez son oeil perçant sous un Borsalino de travers pour qu'elle se décide à les aborder. Soit parce qu'elle avait envie de jouer, soit parce qu'il y avait une réelle curiosité, ou encore parce qu'elle se sentait tout simplement d'humeur séductrice (...ce qui lui arrivait 90% du temps). Ces raisons n'étaient pas exclusives les unes des autres, mais en ce cas précis elle devait avouer qu'elle penchait entre la très légère curiosité, l'envie de jouer au chat et à la souris, et la possibilité qu'en adressant la parole à ce jeune homme elle puisse éventuellement ramener encore plus de clients à la soirée qui se tiendrait dans son club d'ici quelques heures.

En effet, le jeune homme était entré un peu après elle dans le magasin, et s'était instantanément dirigé vers une étagère en émettant des sons qui se voulait vraisemenblablement approbatifs. Pourtant, la wiccane ne détectait aucune présence de magie autour de lui, ce qui signifiait qu'il n'avait pas pratiqué (avec succès du moins) la magie récemment, ni été en contact avec un quelconque sortilège que ce soit. Ce n'était pas forcément indicateur de quoi que ce soit, mais on pouvait néanmoins en tirer diverses hypothèses, toutes plus amusantes les unes que les autres -selons les critères de Précieuse évidemment. Il lui fallait donc les soumettre à expérimentation pour savoir laquelle était la plus probable. Pourquoi, me diriez-vous ? Pourquoi la sorcière choisirait de perdre du temps (appelons un chat un chat) à faire la conversation avec des inconnus qui étaient potentiellement wiccans, mais pas forcément, et pouvaient donc ne lui apporter que très peu ?

Tout simplement : parce que c'était DRÔLE. Et oui, il arrivait à la blonde au chapeau d'enquiquiner son prochain uniquement par plaisir, pour la beauté du geste. C'était à Asch qu'elle réservait ce rôle de bouffon de la reine, en général. Mais elle avait déjà prévu tant de choses pour lui ce soir qu'elle avait presque pitié de lui (...ou pas) et décidé de provisoirement acquérir une nouvelle cible... en la personne de ce jeune homme au haut-de-forme papillonnant, donc.

Elle l'aborda par une phrase toute simple, qui pourtant avait plus de sens qu'elle n'en admettait. Le chapeau n'était plus un accessoire à la mode que dans certains milieux, et elle s'étonnait d'en croiser autant récemment. D'autant que cet étranger portait un haut-de-forme... Ce qui avait tendance à rappeler certains souvenirs à la wiccane. Ne parlons même pas du papillon, même si elle savait que pour le faë auquel elle pensait, ce n'était qu'épisodique (...non, elle n'avait pas vu de photos ou d'interview, qu'allez-vous donc chercher là ?!)... Bref, tout cela l'amusait d'autant plus que le jeune homme semblait bien vouloir se prêter à la conversation.

...et voilà qu'il rimait presque en parlant, lui aussi ! Enfin, ses propos donnaient moins mal au crâne. Et il n'inspirait pas cette crainte que le faë blanc semblait porter sur lui comme un masque aussi joyeux que le reste de ses atours musicaux. Il fallait dire qu'il en savait (ou bien prétendait savoir, mais le risque était élevé) bien trop aux yeux de la plus-si-jeune Amanda... Mais cet étudiant, qui ne savait même pas qui elle était ? La comparaison s'arrêtait à un style plutôt ressemblant. Un sourire néanmoins amusé sur les lèvres, comme porteuse d'une plaisanterie dont elle seule connaissait la chute, la blonde répondit.

"Merci. On m'appelle Précieuse. Je tiens un Club à quelques rues d'ici..."

Le sourire amusé s'étendit. Et déjà, il contenait cette once de malice qui tendait plus sur le machiavélisme qu'autre chose. Elle attendait la réaction de son interlocuteur : il n'y avait pas énormément de bars ou de night-clubs qui s'étiquetaient comme "Clubs" d'eux-même, préférant généralement d'autres termes... peut-être pour éviter la co-référence des Plaisirs Coupables. Mais, sincèrement, la wiccane ne voyait pas pourquoi...

...Oh bon, d'accord. Elle savait. Et elle trouvait ça terriblement drôle. Mais voyons voir ce que le jeune Melvin avait à dire à ce sujet. Et une fois cette partie de la conversation terminée, la blonde enchaîna, commençant là la première partie de son expérimentation.

"Vous cherchez quelque chose de particulier ?"

Oui. Précieuse savait parfaitement feindre l'amabilité quand c'était nécessaire. Elle gérait un business, après tout.

Alban avait commencé son internat en début de semaine au Charity's Hospital, et il avait été forcé de constater que c'était un sacré foutoir là dedans. Beaucoup de Wiccans et Vaudouns travaillaient a l'intérieur, enfin beaucoup ... Disons que le peu de personnel était essentiellement des Outres.

Jusque là il était plutôt satisfait, car son ambition de se rapprocher du monde des outres était ce qui l'avait emmener ici. Le problème, était que de manière générale, il servait plutôt de larbin. Aujourd'hui par exemple il devait récupérer un stock de plantes séchés, d'onguents et de bandages chez l’apothicaire.
Alban aimait bien les apothicaires, il les aimait comme un peintre aime un magasin de toiles. Il y plongeait un œil et un nez expert. Ainsi il flâna dans la boutique avant de récupérer la commende, profitant qu'une imposante Wiccane vienne faire ses courses.

A bien y regarder, la dame avait une présence très forte, qui attira fortement l'attention Alban. C'était bien pour ce genre de rencontres qu'il était venu ici, il avait toujours trouvé la compagnie des normes, juste bons à se faire plumer, peu satisfaisante. A l'inverse il nourrissait une fascination pour les Outres charismatiques, comme lui.

Mais malgré toute la fougue de son âge, il n'osa pas lui adresser la parole, et la regarda s'en aller les yeux pleins d'admiration, enivré par toute la magie qui émanait d'elle. Alban se dirigea alors en direction du comptoir,

"Oui bonjooour ... Je viens pour ... "

Un client entra dans le magasin, et Alban se retourna : Ayant grandit dans un environnement Norme , sa sensibilité à la magie n'était pas très développée. Mais qu'il soit ou non Wiccan, ce mec là avait de toutes façon l'air d'un amateur. Alban détourna le regard avec dédain et continua sa commande.

"Excusez-moi... heum ... je viens récupérer la commende du Charity's ..."

Non ! La Wiccane était en train de lui parler ! A lui ? Ce gros nul au chapeau ridicule ?
...
Ils se complimentaient sur leur chapeaux ? LEURS CHAPEAUX ?

A-t-on idée...

Alban était jaloux.
Il ne se retourna pas cette fois ci, préférant grommeler intérieurement, et repris sa commende d'une voix morne,

"Hospital ... Le Charity's Hospital."

Le commerçant lui fit un sourire, puis parti dans l'arrière boutique en acquiesçant. Alban releva ses lunettes, l'air agacé puis jeta un coup d’œil appuyé sur ce qu'il se passait à l'arrière de la boutique. Il bouillonnait d'orgueil, mais ne savait pas comment s’immiscer dans la conversation.

Complètement ignorant des pensées noires qui habitaient mon interlocutrice et son admirateur caché, j'écoutais la mystérieuse dame dire :

"Merci. On m'appelle Précieuse. Je tiens un Club à quelques rues d'ici..."

Précieuse ? En voilà un nom peu ordinaire ! Mais il seyait à cette femme qui rayonnait élégance et grâce. A penser qu'une personne comme elle vienne me parler prouve bien mon influence ! Il me paraissait parfaitement normal que des personnes raffinées comme nous deux viennent à se rencontrer, il s'agissait sans nul doute du destin !

"Vous cherchez quelque chose de particulier ?"

La réplique de Précieuse me sortit de ma béatitude. Qu'allais-je répondre à cette question ? Moi même je ne le savais pas ! Que cherchais-je dans ce magasin ? Etait-ce finalement seulement des composants pour des futurs rituels, ou était-ce bien plus ? Cette rencontre inopinée prouvait bien que mon âme savait ce que je cherchais en allant dans ce magasin ! Etait-ce finalement une étape dans mon chemin de vie que de rencontrer cette personne si charmante ? Je ne le savais pas. Néanmoins, je lui répondis :

" Si je cherche quelque chose ? Hé bien, je cherche beaucoup de choses voyez-vous, comme le sens de la vie, la signification du destin, donc je pourrais dire que notre rencontre est probablement ce que je cherchais sans le savoir. "

Je sentais que quelqu'un me regardait avec insistance. Il s'agissait d'un jeune homme très semblable au célèbre Harry Potter, ce qui lui donnait un air diablement vintage. Il semblait me dévisager, comme si il était jaloux de ma discussion avec Précieuse. Comme si j'allais m'excuser de parler avec une personne de mon gabarit ! Il partit dans l'arrière-boutique, Dan le suivit rapidement du regard tout en écoutant la réponse de Précieuse.

Si Précieuse n'avait pas tant l'habitude de sa prestance, elle se serait étonnée de l'air à la fois béat et ébahi qu'arborait le jeune homme à qui elle faisait la discussion. Ce n'était pourtant généralement pas à ce moment de la conversation qu'elle récoltait ce genre de regards... Mais il fallait dire qu'elle était maintenant bien implantée à la Nouvelle-Orléans, et que rares étaient devenus ceux qui ne la connaissait pas au moins de nom. Peut-être avait-elle affaire à un nouvel arrivant.

En parlant de nouveaux arrivés, elle avait bien remarqué l'autre jeune homme qui était présent dans la boutique. Elle avait également senti la magie autour de lui, ce qui faisait qu'il l'intéressait moins que le premier. Du moins, c'était l'impression qu'elle donnait, mais Précieuse était passée maître dans l'art de faire croire beaucoup de choses via son attitude, et il était toujours bien difficile de distinguer le vrai du faux. En l'occurrence, pas besoin d'avoir des yeux derrière la tête pour savoir que leur discussion intriguait : le regard en coin que jetait Dan vers l'arrière de la boutique ne laissait aucune place au doute, d'autant que la wiccane avait tellement l'habitude d'être observée (que ce soit dans ses activités de danseuse exotique ou dans la traque que le Covent de Trois-Rivière lui avait faite) qu'elle semblait capable de sentir quand on posait les yeux sur elle. Certains trouvaient cela dérangeant. La plupart du temps Précieuse, elle, y voyait une sorte de compliment. Et ici, c'était certainement le cas.

Bref ! Avec tout ça, le séduisant jeune homme au haut-de-forme lui avait fourni une réponse qui avait le mérite d'être éclairante : caractéristique de ceux qui ne savent pas quoi dire. Ou qui ne veulent point trop en dévoiler sur eux-mêmes. Etant une fervente pratiquante de la tactique pour la seconde raison, la gérante des Plaisirs Coupables avait appris à ne pas juger trop vite ceux qui esquivaient ainsi même les questionnements les plus innocents : il est tellement facile de mener les gens sur une fausse piste lorsqu'ils pensent vous tenir dans le creux de leur main.

Prudente, donc, la sorcière scanna de son regard vert d'eau l'étagère de plantes et autres herbes qui se trouvaient derrière Dan, et eut un sourire amusé en trouvant ce qu'elle cherchait. Tendant lentement le bras juste au-dessus de la clavicule gauche du jeune homme, elle attrapa quelque chose qu'elle garda dans son poing fermé, avant de l'ouvrir entre Dan et elle. Des graines. De céleri, plus exactement, servant principalement à améliorer les capacités psychiques et, utilisées dans le rituel adéquat, favorisant les prestations des médiums.

"Ceci vous aidera certainement à y voir plus clair..."

Le ton de Précieuse était comme un ronronnement mystérieux : à l'image de ses paroles elle-même, il cherchait à attiser la curiosité de son interlocuteur. Plus encore, la blonde méchée voulait savoir si le jeune homme allait être capable de reconnaître ce qu'elle avait en main, et comment il allait s'y prendre pour le montrer. Ou le faire croire ? La wiccane continuait de douter, et cela l'amusait particulièrement.

Cela l'amusait presque autant que la tête que faisait le jeune homme qui attendait sa commande. Elle avait profité de son mouvement pour lui jeter un regard en biais, et l'orgueil mal caché qu'elle avait détecté sur son visage lui avait donné l'envie de lui faire un clin d’œil amusé. Deux jouets pour le prix d'un, que demander de mieux ?

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~~discrètement~~

"Tout va bien monsieur ?"

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[ un message rapide pour ne pas bloquer, mais rien de spécial à raconter non plus. :) ]