Psychologie
Dans ta tête.
Défauts : Lunatique, instable, silencieuse ; Elena compte les défauts comme les mystères. Peu loquace, et s’amusant d’une manière de parler bien particulière, on l’affuble facilement du titre d’étrangeté ennuyeuse. La macabée au regard lointain n’inspire ni sympathie, ni une once d’humanité. Sa loyauté n’appartient à personne - si on oublie son vaudoun a qui elle prête allégeance contre sa volonté -, faisant d’elle une créature à qui il ne vaut mieux pas accorder sa confiance aveugle. Déterminée, sombre ambitieuse, elle n’hésite pas à vendre les secrets qu’elle amasse au plus offrant. Ne s’encombrant ni des sentiments, ni des remords, chaque coup peut lui paraître permis afin de parvenir à ses fins, que ce soit par intérêt personnel ou à la simple demande de son Vodoun. Parfois cruelle, parfois impitoyable, il semblerait presque que la zombie ne soit dotée d’aucun sens de la justice, à part celui qu’elle daigne s’attribuer : faire ce qui est nécessaire, qu’importe le prix.
Qualités : Secrète, et tout autant discrète, Elena a le don de la dissimulation, ce qui l’aide beaucoup dans ses recherches au compte de le BIAS. Celle qu’on surnomme Le Spectre file à travers les ombres comme si elle était l’une des leurs, jusqu’à faire oublier sa présence. Se confondant avec l’obscurité, masquant le bruit de ses pas dans le silence étouffant des docks, la jeune fille est une invisible aguerrie.
On ne la voit pas, et pourtant, elle est là ; toujours au détour d’une rue pavée, dissimulée derrière ses précieuses orchidées. Dangereuse, charmeuse et lunaire, elle use de ses dons de manipulation et de ses manières pour se faire oublier.
Mais elle est là. Toujours quelque part, à épier ; véritable petit espion voilé.
Car Elena entend, Elena retient.
Elena Sait.
Croyances : Ayant vécu dans une famille partageants les valeurs gitanes, Elena connaît le respect des anciens et aussi des morts, croyant alors bel et bien à l’existence d’une sorte de Paradis et d’Enfer bien avant y avoir mis un pied à son tour. Etant née après la Révélation, Elena a pu se faire à l’idée de l’existence des créatures surnaturelles, et ainsi croit en la puissance de la magie, mais aussi des forces obscures. Ce ne fut que depuis sa résurrection, néanmoins, que la zombie se mit réellement à croire aux pratiques vaudous, se familiarisant alors avec les entités animant ces pratiques, notamment les démons et Loa.
Religion : Vivant dans son petit monde, Elena a su se créer ses propres croyances, sa famille étant néanmoins catholique. Elle s’est toutefois intéressée de près à la religion vaudou depuis sa résurrection.
Goûts : Avant que le goût et la nécessité de se nourrir lui soient retirés, Elena appréciait beaucoup le chocolat noir et le thé très infusé. A l’occasion, une tasse de café sans sucre avait également le pouvoir de la satisfaire. Elle apprécie les arts du spectacle, et affectionne tout particulièrement les acrobaties et le funambulisme.
Talents, savoirs notables : De son vivant, Elena était une excellente acrobate, funambule de renom. Experte en voltige, elle était d’une extrême agilité - désormais altérée suite à sa nouvelle condition. Elle possède néanmoins toujours certains talents de danseuse.
(+) Espoirs, buts, rêves : Aussi triste que cela puisse paraitre, en tant que zombie, Elena n’ose s’offrir le luxe de continuer à rêver. Elle sait son existence vouée à l’échec, elle qui erre sans cesse dans les rues à la recherche d’informations et autres subterfuges afin de gagner quelques maigres pièces. Parfois, l’idée de s’offrir un toit lui paraît idéale, mais cette illusion s’échappe bien vite de son esprit. Finalement, vivre sans la limite imposée par les murs d’une villa dans les beaux quartiers ne lui déplait pas tant que cela. Ainsi, elle s’octroie le le plaisir d’avoir la ville entière comme terrain de jeu. Quelques nuits, où aucun rêve ne peut venir l’enlever de la dure réalité, elle espère secrètement retrouver sa liberté, même si cela signifie mourir pour de bon.
(-) Angoisses, regrets, phobies : Ce qui peut être certain, c’est qu’Elena ne craint absolument plus la mort, maintenant qu’elle y a goûté. D’ailleurs, même de son vivant, Elena se complaisait dans le fait de la frôler. Aujourd’hui, la seule angoisse que la zombie peut encore traîner derrière elle est celle de se faire prendre dans ses méfaits, et d’en subir les conséquences auprès de la pègre qu’elle épie sans relâche. Car, même si elle sait qu’aucune blessure ne serait en mesure de la tuer – si on oublie l’immolation par le feu -, l’idée de souffrir physiquement ne la réjouit pas tant que cela non plus. Elle craint principalement la mort éventuelle d’Alphonse, et regrette la présence de sa famille à ses côtés.
Si on vous parle des Outres, vous réagissez comment ? Honnêtement, Elena se contente de les ignorer. Elle ne se considère pas tellement comme une Outre elle-même, simplement une âme perdue parmi tant d’autres. Elle ne craint pas ses pairs zombis et vodouns, mais il lui semble difficile d’apprécier wiccans. Suite à sa mort, elle craint et redoute les vampires, leur vouant une haine peu égalée. Néanmoins, face à la Grande Révélation, Elena ne peut s’empêcher de se fasciner pour certaines créatures d’un peu plus près, notamment les vodouns qui jusque-là, outre le fait qu’elle ait eu l’occasion de les côtoyer, ne méritaient qu’un léger mépris quant à leur mainmise sur les gens de son espèce. Finalement, la connaissance emmagasinée par ces derniers forge sa légère admiration envers eux. Concernant les faës, néanmoins, elle porte un intérêt relatif ; s’intéressant à leur côté mystique sans pour autant chercher à s’en rapprocher.
Et votre sentiment vis à vis des Normes ? Etant donné qu’elle en fut une autrefois, elle n’a absolument rien contre ces derniers. Elle ne les considère néanmoins pas comme étant supérieurs, mais il serait mentir que de dire que son affection n’aille pas plus facilement vers eux que vers d’autres Outres.
Êtes-vous satisfait de votre existence ? Peut-on encore réellement parler d’existence ? Malheureusement pour elle, Elena est morte bien trop prématurément pour espérer se forger une réelle histoire. Ballotée entre les bras de sa famille, puis jetée dans la fausse aux lions une fois arrivée à la Nouvelle Orléans, la jeune fille n’a pas réellement eu le temps de se construire une idée d’avenir, ni de s’offrir une rétrospection quant à son passé. Malheureusement, la zombie n’a pu expérimenter assez de choses pour se dire qu’elle a réellement vécu.
Possibles évolutions ou objectifs futurs : Semer un peu la pagaille, ça peut toujours être amusant. La collecte de secrets s’annoncera peut-être fructueuse.
Particularités éventuelles : Elena est une SDF, mais parvient la plupart du temps à trouver un endroit où s’abriter. Selon les rumeurs, Le Spectre pourrait peut-être squatter les bâtiments abandonnés la nuit, ou les docks. Certains disent l’avoir vue sortir d’une pharmacie au petit jour.
Antécédents
C'est le moment de raconter sa vie
Quelque chose à dire sur votre Famille ? - Esmee TSVETANOV, sa mère dont elle a hérité de la détermination et la curiosité. Elle s’occupa de sa fille avec fermeté, mais fut toujours juste. Il n’y a pas un jour où Elena ne la regrette pas.
- Peter TSVETANOV, son père. Elle possède son goût pour la liberté et son calme à toute épreuve. De lui, elle reconnait avoir récupéré son esprit rationnel. Il s’occupa d’inculquer à sa fille les quelques valeurs gitanes auxquelles il continue de tenir.
- Alphonse TSVETANOV, son cousin et meilleur ami, ainsi qu’ancien fiancé. Un de ses seuls compagnons de mésaventures sur lequel sa nostalgie ose s’attarder. Elle nourrit encore l’espoir qu’il soit toujours en vie.
La famille d’Elena s’avère posséder sa propre complexité. Non seulement la jeune fille peut se targuer de posséder dans son ADN plusieurs ethnies, toutes plus exotiques les unes que les autres en raison des nombreux voyages effectués par son père et sa famille, mais les coutumes animant les repas et autres célébrations prouvent également de la singularité de sa situation. La branche dont découle son père appartient à une lignée gitane, qui prend ses racines dans les contrées européennes, tout particulièrement en Bulgarie.
Au fil des années, néanmoins, et les migrations se multipliant, ses ancêtres vinrent s’installer sur les terres américaines, notamment en Pennsylvanie. Les membres du clan se marièrent ainsi avec des gitans locaux, jusqu’à former une nouvelle famille hybride au travers de nombreux mariages arrangés.
L’une des dernières unions célébrées a ainsi uni les parents d’Elena, ayant néanmoins eu la chance de tomber éperdument amoureux bien avant leur union officielle.
La famille d’Elena tient un cirque ambulant, ainsi qu’une troupe de comédiens et autres liseurs de bonne aventure.
Événements de votre passé qu'il convient de connaître : Elena, quelques secondes dans les poumons.
Cette nuit-là, le ciel n’avait jamais paru autant sombre. Jamais avait-on aperçu les cieux drapés d’un noir si profond, aussi nuageux que par temps de pluie ; naissance pleine d’encombres.
Le vent soufflait, sifflait, faisait cogner les branches de quelques arbres contre les vitres fragiles des fenêtres du salon. La pièce avait été arrangée de telle sorte que tous les meubles soient poussés contre les murs, délaissant un espace libre au centre. Le sol désencombré de tout mobilier, on y avait placé une dizaine de tapis persans, venant créer un lit précaire pour la jeune femme hurlant dans la pénombre. Son mari, tout aussi inquiet qu’impatient face à l’arrivée de sa première fille, tenait fermement la main de son épouse que l’on déposait délicatement sur le matelas de fortune installé pour l’occasion. Il y avait aussi les futurs grands-parents, patientant dans un coin de la pièce, et un cousin apeuré n’osant sortir de la cuisine. A chaque seconde qui passait, quelqu’un osait crier à Esmee à quel point cette dernière faisait preuve d’un incroyable courage, d’une force qui méritait toute admiration. Des éloges auxquels l’intéressée répondit par quelques insultes lancées sous le coup de la douleur, de la frustration, et l’envie pressante de terminer son affaire le plus rapidement possible. A ce moment-là, l’idée même de se réjouir de la naissance de son enfant ne put lui passer par l’esprit, ce dernier étant bien trop parasité par toutes les informations contraires le traversant : la souffrance, la peur de laisser sa vie afin d’en délivrer une nouvelle au Monde, l’angoisse à l’idée que le médecin ne puisse arriver dans les temps.
Les minutes finirent par se transformer en heures, si bien qu’il n’y eut plus personne pour constater de l’écoulement des secondes. Les tics et les tacs de l’horloge accrochée au-dessus du canapé ne faisaient que rappeler l’attente interminable, cette impression de s’être perdu dans l’immensité de la distorsion du temps. Chaque soupir, chaque complainte semblait s’éterniser, alors que la belle Esmee souffrait. Ses cris ne tardèrent pas à déchirer le silence de la nuit, jusqu’à faire naître à la naissance de l’échine de chacune des personnes dans la pièce une nuée de frissons d’effroi. Tous les hommes se sentirent fiers de ne jamais avoir à connaître cette torture un jour, tandis que les femmes ne pouvaient que compatir.
Peter ne put que baisser le regard en direction de sa main, ancrée dans celle de son épouse.
Le travail fut long, si long que la Lune laissa bientôt place à son frère alors que la tête de la petite Elena se découvrait enfin au Monde.
Puis, les cris d’Esmee se transformèrent en soupirs de soulagement, tandis que la voix criarde et fébrile du nouveau-né s’engageait à reprendre la chorale.
On lui remit son enfant quelques instants plus tard, lové dans une couverture. Peter souriait, tandis que la petite main du nourrisson serrait de sa force minuscule le pouce de ce dernier.
Esmee, enfin, laissa un rire éclater contre les murs de la maison.
Ce ne fut alors qu’à ce moment-là, lorsque le calme reprit ses droits dans la pièce, que le petit garçon jusque-là planqué dans la cuisine daigna entrer en scène. D’abord hésitant, ce fut d’un pas prudent qu’il s’approcha des nouveaux parents. Ses yeux bruns croisèrent à peine le regard fatigué d’Elena
Esmee tourna la tête vers lui, lorsqu’il fut assez proche pour enfin entrer dans son champ de vision.
«
Regarde Alphonse, murmura-t-elle.
C’est ta cousine, Elena.
-
Elena ?, reprit-il. »
Esmee se contenta d’hocher la tête.
«
Tu veux la prendre dans tes bras ?, intervint Peter.
-
Quoi ? Oh, non oncle Peter ! Je pourrais la casser, elle a l’air si fragile.
-
Tu ne lui feras aucun mal, Alphonse, reprit Esmee. Tu n’as qu’à bien tenir sa tête, et tout ira bien. »
On lui tendit alors l’enfant, et Alphonse l’accepta dans ses bras tremblants d’angoisse. Du haut de ses cinq ans, le garçonnet se sentit alors l’espace d’un instant grandir l’âme d’un héros, mais aussi d’un monstre. Il lui semblait si facile de briser une si petite créature, qu’il n’osa juger de la comparaison de leurs forces. Lui, frêle gitan à peine capable de soulever le bois pour le feu se savait pourtant en mesure d’écraser sa petite cousine.
Mais il sourit. Tout de même.
Et à l’aube, plus personne ne cria.
Elena, treize ans.
Il y avait Elena, qui jouait encore les funambules ; coincée dans sa bulle. Voltige, altitude, hauteur et danger, la belle toujours sans filet. Petite araignée agile, à l’apparence pourtant si fragile, la voilà qui défiait les lois de la gravité sans s’offusquer. Ses pieds caressaient la corde tendue, alors que son regard se tenait droit devant elle. A quelques mètres sous elle, elle entendait la clameur de la foule, lâchant quelques hoquets de stupeur lorsque ses bras vacillaient dans le vide à la recherche d’un nouvel équilibre.
Elle se sentait libre. Si proche de la chute, elle paraissait pourtant prête à toujours s’envoler.
Plus haut, plus loin, sans jamais avoir à s’arrêter.
Vous voyez, comment elle donnait l’impression que tout ceci était si facile ? Il n’y avait qu’à l’observer, pour se dire que ça ne devait pas être si compliqué. Quel oiseau avait vraiment besoin d’ailes pour voler ?
Dans son costume pailleté, elle accrochait les lueurs colorées accrochées sous le chapiteau. Elle rayonnait de milles feux, comme un phénix, ou simplement un brasier ; il n’y avait qu’à voir cette lueur flamboyante dans ses onyx pour la confondre avec une étincelle.
Elle était belle, Elena. Si charmeuse, si radieuse, si agile.
«
Tu finiras par tomber, l’avait un jour avertie Alphonse.
A force de grimper sans filet, tu tentes le Diable, tu le sais ?-
Je ne tomberai jamais, déclarait-elle avec trop d’assurance.
Je suis trop douée. »
Et au fond, elle avait raison.
Elle n’était jamais tombée. Pas une seule fois.
Elle s’envolait, tous les soirs, avec joie.
Elena, quinze ans.
Elle dansait. Elle était assez âgée pour le faire, désormais. Tapant de ses pieds nus le sable de la piste, agitant les voiles autour d’elle comme des ailes satinées, elle préparait son envol par une chorégraphe endiablée. Défiant les rythmes, les tambours, elle ondulait comme les tissus qu’elle envoyait valser à ses côtés.
Bientôt, elle ne tarda pas à retrouver les hauteurs, retrouvant le confort de ses chaussons de funambule. Les passants étaient de plus en plus nombreux à venir la voir, s’extasier devant son adresse, sa fouge ; et elle, elle prenait de plus en plus de risques. Jouant avec le public, elle les effrayait autant qu’elle les émerveillait.
Dos droit, jambes élancées sourire masqué, elle continuait son numéro d’oiseau de feu, de petit fantôme habile.
« Le Spectre », c’était comme ça qu’on l’appelait, chez ses fans anonymes. Un nom de scène scandé à travers les applaudissements et la musique envahissant les chapiteaux. Un patronyme faisant naître un sourire moqueur au coin de la bouche d’Alphonse, d’ailleurs, qui ne cessait de lui rappeler qu’elle était bien trop boudeuse pour être un spectre.
Elle n’avait rien d’un fantôme ; pas encore, du moins.
Puis, à la fin du spectacle, comme d’habitude, vinrent les célébrations. Lanceurs de couteaux et autres comédiens étaient réunis autour d’une table, tandis qu’Elena tardait encore à les rejoindre, traînant avec les voyantes et autres magiciens. Retirant son costume encombrant, elle troquait ses grelots et chaussons pour retrouver le confort de ses robes souples.
Elle se fit finalement une place au sein de l’assemblée, sous les regards attendris de ses parents, et d’Alphonse, le cousin adoré. Le meilleur ami.
Futur mari.
La nouvelle avait été annoncée quelques semaines plus tôt, en réalité, lors d’un énième repas de famille. Une annonce convenue, qui n’avait surpris personne, pas même les intéressés. Elena et Alphonse se connaissaient depuis si longtemps, et s’étaient toujours adorés, ce serait une union aisée.
Mais elle. Elle rêvait de liberté. Et même si elle aimait Alphonse comme un frère arraché, jamais elle ne le verrait comme un nouvel amant.
Mais elle ne l’avait pas dit. Et ce soir, on célébrait encore ces fiançailles. Mais Elena était encore trop jeune pour se marier, même si Alphonse avait déjà atteint l’âge de vingt ans.
Il leur fallait encore attendre. Elle n’était qu’une enfant.
«
Notre prochaine destination sera la Nouvelle Orléans !, s’écria son père, au bout de la table.
Nous avons envie d’étendre notre public, et le folklore de la région saura certainement apprécier notre cirque. De plus, je crois qu’ils ont déjà entendu parler de notre petit Spectre adoré.-
Tu es déjà une star, Elena, taquina Alphonse. Tu vas tous nous voler la vedette. -
Flatteur. -
Néanmoins, nous devons attendre avant de nous y rendre. Encore deux ans. -
Deux ans ?!, s’étonna une acrobate. Pourquoi si longtemps ? -
La Louisiane est mouvementée, mon enfant. Il faudra être patient. »
La Louisiane, oui. Antre des monstres et compagnie.
Un vrai nid à Outres, à ce qu’on disait.
Elena s’y était intéressée, maintes fois d’ailleurs, jusqu’à se fasciner pour certaines coutumes qu’on y découvrait. Mais jamais elle n’en avait parlé, pas même à Alphonse ; c’était mal vu, au sein du clan, de sympathiser avec des coutumes démoniaques.
Alors, dans deux ans. Ils partiraient, enfin. Roulottes et caravanes chargées, direction la Louisiane.
Prête à accueillir un Spectre et sa troupe de phénomènes.
Elena, dix-sept ans.
Ils étaient arrivés. Avaient plantés leurs chapiteaux et leurs tentes, ils étaient enfin installés. Plantant des affiches et chantant leur débarquement, bientôt, les natifs se hâtèrent pour découvrir ces artistes anonymes, ainsi que ce Spectre qui ne tombait jamais.
Les numéros s’enchainaient, et comme à son habitude, celui d’Elena fut accueilli avec éloges et cris. Agile, mais à l’apparence si fragile, la gamine jouait avec les airs, toujours sans filet.
Sa prestation fut tant appréciée qu’on demanda à la voir à la sortie de sa loge. Il s’agissait d’un homme à l’apparence sombre, au corps imposant, au sourire inquiétant, venu la complimenter sur ses talents de danseuse et de voltigeuse. Elle répondit d’un sourire lointain, à peine charmeuse, arrangeant ses cheveux en une tresse lâche.
Il avait un sourire carnassier, cet inconnu. Qui invitait à se damner. Qui faisait peur, en réalité ; un sourire de démon, sardonique, luciférien. Son parfum lui rappelait des effluves ensanglantées, masquées par une fragrance de roses exagérée. Il s’était approché, tendant vers elles de larges mains gantées.
Mais n’était-ce pas interdit, pourtant ? N’avait-elle pas lu que les Normes étaient protégés des soifs des vampires ?
Les règles étaient si facilement brisées, elle s’en souvenait. Peut-être cet homme avait-il espéré l’emmener, en faire une assoiffée, ou simplement s’étancher en espérant ne jamais se faire attraper. Qui viendrait s’inquiéter de la disparition d’une nomade, après tout ?
Ça n’avait aucun sens de ne pas s’abandonner à ses vices.
Pourvu de goûter à quelques exotiques délices.
Alerte, furtive, elle se mit à fuir, comme une fugitive. Ayant alerté par ses cris Alphonse qui se reposait dans la tente d’à côté, ce dernier ne tarda pas à être témoin de la scène dépeignant une Elena courant à travers les rues pavées, poursuivie par un homme tout de noir drapé.
«
Elena !, s’écria le cousin héroïque. »
Mais elle avait fui. Par les toits, les balcons, elle avait réussi à le semer, prenant de la hauteur avec aise. Désormais, elle se balançait sur les tuiles humides d’une vieille maison de quartier, faisant face aux docks à peine éclairés. L’homme l’avait suivie jusqu’ici, la forçant à reculer.
Mais elle n’allait pas tomber, pas vrai ? Parce qu’Elena, elle n’avait jamais besoin de filet. Elle était le Spectre, jamais elle ne chutait.
Elle s’envolait. C’était tout ce qu’elle savait faire ; c’était son talent.
Néanmoins, plus à présent.
«
Tu finiras par tomber, se souvenait-elle d’Alphonse en train de lui dire.
A force de grimper sans filet, tu tentes le Diable, tu le sais ?-
Je ne tomberai jamais, avait-elle répondu. Je suis trop douée. »
Elle l’était, oui. Seule, elle l’était. Elle était belle, à défier la gravité, à violer les lois de la physique.
Mais le Diable, elle avait fini par le tenter.
Et finalement, c’était face à elle, qu’il se tenait.
Il avait fondu sur elle, en une enjambée, entourant son frêle corps de ses bras puissants.
Contre lui, ses os avaient craqué. Son souffle avait été arraché.
Et son corps, lui, fut balancé.
Elle tomba, à n’en pas douter.
Poussée.
«
Elena !, entendit-elle de nouveau, alors que sa silhouette disparaissait vers le vide, ses yeux encore ouverts. La voix d’Alphonse résonnait jusqu’à elle, dans ses derniers instants de lucidité. »
Ce fut le dernier mot qu’elle entendit, cette nuit.
Peut-être qu’il prononça, aussi.
Parce que l’Homme, ou plutôt le Diable, s’était tourné vers son meilleur ami.
Une semaine plus tard.
Elle avait flotté. Quelques jours au moins ; une semaine, peut-être, avant de s’échouer. Tombée dans le canal, c’était un courant lent qui l’avait portée, ses linges la couvrant comme un linceul abîmé.
Et c’était là, qu’elle s’était réveillée. Contre un lit improvisé, entouré d’offrandes et de bougies allumée.
Elle avait tendu les mains, ne tremblait plus. Elle avait été arrachée aux démons et aux fantômes de l’au-delà.
Elle était vivante. Enfin presque. Elle n’en était pas certaine.
Zombifiée, ranimée ;
Le Spectre n’était toujours pas prêt à tomber.
Quelques détails à savoir sur votre arrivée à la Nouvelle Orléans? Vous en êtes natif ? Elena n’est pas native de la Nouvelles Orléans, mais de Pennsylvanie. La troupe dirigée par sa famille a décidé de faire une escale en Louisiane, où Elena y trouva la mort. Depuis, elle y réside.