Besoin d'un joueur de trompette ?

C'était ce genre de moments où Skyler n'était pas bien certain de savoir s'il avait l'impression d'être le matin, ou dans le prolongement d'une soirée décidément trop longue. Ses responsabilités l'obligeaient souvent à faire des nuits très courtes. Là, typiquement, il avait pioncé une heure sur le canapé dans la cave de la pharmacie, puis il était reparti.

Yay. Ca ne le mettait pas d'excellente humeur. Il allait finir par avoir des valises sous les yeux.

Heureusement qu'il aimait son taf. La plupart de ses tafs. Bref.
Pour le reste, heureusement qu'il aimait se payer la gueule des cons de clients qui passaient encore sa porte en ne se doutant de rien, ce malgré la réputation pittoresque que la Red Square Pharmacy avait acquis avec le temps.

A force qu'il traumatise quiconque venait lui acheter une boîte de doliprane ou de vitamine C, il voyait quand même beaucoup moins de monde qu'avant. Et ça lui convenait parfaitement. Moins de clients lambda signifiait plus de temps pour s'occuper des affaires du Talion ou de la W.

Le carillon de la porte retentit, indiquant que quelqu'un venait d'entrer. Skyler qui tenait entre ses lèvres le bouchon du stylo avec lequel il était en train de prendre des notes pour les inventaires émit un soupir si profond que le bout de plastique sauta et tomba derrière le comptoir.

"... Va chercher, Rictus. Bouge ton cul pour une fois."

Tout ça dit sur le ton le plus désabusé du monde, compte-tenu du fait que Skyler n'attendait en réalité rien de l'animal, si ce n'est peut-être un gros ronflement dégueulasse et son filet de bave assorti. La hyène qui était en train de dormir, roulée en boule à côté de lui sur le comptoir, n'eut pour seule réaction que de se tourner sur le dos et de faire tomber un présentoir chargé de tubes de pastilles pour la gorge. Le russe resta un moment silencieux face à cette scène de destruction ordinaire, malheureusement typique de son imbécile de familier.

"Même quand tu dors tu fous la merde. Rappelle moi pourquoi j'ai voulu de toi ?"

Le client s'était avancé jusqu'au comptoir et lui avait foutu son ordonnance sous le nez avec une impatience mal camouflée. Le wiccan coula son regard gris jaune dérangeant sur l'inconnu. Il ne cherchait même pas à faire semblant d'en avoir quoique ce soit à foutre.

"Qu'est-ce qu'il y a, t'es pressé ? Pas la peine de t'énerver, j'suis à toi dans... Oh." C'était pas un vieux grand-père de 90 balais qui venait acheter la crème pour coller son dentier, pour une fois. C'était un gars avec un style beaucoup trop bon chic bon genre à son goût, mais qui à quelques fautes de goût près se trouvait être carrément canon. "... Quand tu veux."

Skyler ajouta à son commentaire licencieux le rictus carnassier - mais séducteur - qui allait bien. Rassurons nous, il ne s'était pas vraiment attendu à ce que le gars passe au-dessus du bureau pour le plaquer contre le premier mur venu - même s'il n'y aurait carrément pas dit non. La réaction du client fut telle qu'il se l'était imaginée : le gars lui tirait une tronche scandalisée digne du balai qu'il avait certainement dans le cul.

"Juste pour que tu saches, pas la peine de demander le manager, chéri, tu l'as déjà devant toi. Bon voyons ta merde là... Céfixi... Yuck." Un coup d'oeil curieux sur le gars qui subitement ne semblait plus savoir où se mettre. Ouais, ok. A tous les coups il avait besoin de cet antibiotique pour traiter ce genre de problèmes. "Tu sais quoi ? Je retire mon offre. Garde tes bactéries. Mais bouge pas j'reviens."

Et le pharmacien de s'éloigner en direction de l'arrière salle les mains dans les poches. Sous sa blouse à l'apparence totalement destroy, on pouvait voir dépasser un baggy en tissu écossais vert rentré dans les coutumières rangers du wiccan. Ses manches étaient remontées jusqu'aux coudes. Il avait quinze mille bracelets aux bras aujourd'hui, de même qu'il avait quinze mille bagues en bois à tous les doigts, mais ça c'était tous les jours. Ses cheveux violets viraient bleus sur les pointes. Pour une fois, il avait laissé les couleurs de son sidecut tranquilles - mais du coup, il avait pu le tailler plus court. De multiples anneaux et écarteurs en bois ornaient aussi ses oreilles.

Il revint au comptoir avec les boîtes de médocs qu'il abattit sans grande délicatesse devant lui. Le gusse était encore là, même s'il tirait toujours la gueule hilarante du mec qui venait de boire une cuillère d'huile de foie de morue alors qu'il pensait que c'était du sirop de caramel. Il garda la même tronche lorsqu'il récupéra son sac, lorsqu'il paya, et lorsqu'il partit sans dire au revoir.

C'est avec sa traditionnelle nonchalance moqueuse que Skyler lui fit des signes d'au revoir même au travers de la fenêtre, après qu'il fut sorti. Le mec était tellement perturbé qu'il se prit le phare d'une voiture dans le genou en tentant de descendre du trottoir. Le wiccan eut un raclement de gorge amusé.

Puis le carillon de la porte retentit encore. Skyler roula des yeux pour la forme tout en imitant le bruit de la porte :

"Dingeling dingeling.. Ouaaais. C'est pour quoi cette fois ?"

L'attitude de Skyler se modifia très sensiblement lorsqu'il posa les yeux sur la personne qui venait d'entrer. Oh, dites voir... Est-ce que sa journée allait devenir subitement beaucoup plus intéressante ? L'inconnue dégageait quelque chose de spécial. Et elle, c'était pas juste parce qu'il la trouvait sexy. C'était magique. Mais c'était pas la magie qu'il connaissait bien.

"Oh... Hello you. Quelque chose me dit que vous êtes pas ici pour acheter de l'aspirine."

Oui, vraiment... Cette énergie, cette sensation... Définitivement intriguant. C'était pareil que d'habitude, mais en différent. Il avait déjà sa petite idée concernant ce dont il était réellement question. Par prudence, il avait naturellement changé de registre de langage. Mieux valait manipuler avec précaution ce qu'on connaissait mal.

Avec l'établissement à la Nouvelle-Orléans, spécifiquement à l'ouverture du Sidhe, un semblant de normalité venait peindre le tableau de la reine. Un semblant. Juste un reflet aussi stable que ceux d'un visage sur l'eau des fontaines. Durant un moment de calme, simple promenade solidaire -bien que toujours accompagnée d'au moins un garde de haute confiance- sous les arches d'un jardin féérique qui essayait de porter le déguisement d'un passé lointain Titania prit une décision. Loin de celles qui taillaient les chemins pour son peuple, mais plus proches de ses caprices capables de faire vaguement oublier la condition du moment.

En posant pied à terre sur ce nouveau continent, elle a récupéré un jeune alligator. Il pouvait encore tenir dans les bras, mais malgré le lien avec la nature il serait bientôt impossible de le laisser aller à sa vie comme bon lui semblait. La mâchoire faite pour broyer les os, plus massive et peut-être moins élégante que celle des crocodiles, poserait problème en cas d'incident. Obéron avait pris soin de prévenir que Louis ne pourrait pas être un caprice sans conséquence ainsi. Le dresser devrait passer par des sorts Wiccans. Au moins, il n'était pas question de s'adresser à des simples humains. Il allait falloir demander l'art d'un Outre. La reine pouvait s'en accommoder, elle s'était déjà bien trop attachée au reptile aux belles dents.

Petite nuance de sombre-obscure dans la peinture : c'était d'un sort illégal dont il était question. Les lois humaines dérangeaient, et évidemment que la fée n'acceptait que très moyennement que les faës y soient soumises. D'autant plus, elle. Ce qui posait problème concernait le moyen de trouver l'Outre de la situation. Des faës se trouvèrent donc affublées d'une mission. Et les informations obtenues menèrent donc Titania dans ce quartier qu'elle pouvait encore qualifier de charmant.

Accompagnée, toujours, de gardes en civils de ces contrées qui se plaçaient aux endroits désignés par leur chef, la reine pouvait vaquer à son occupation comme si de rien n'était. Du moins, en apparence. Il n'était pas question d'entrer en jeu de force, loin de là. Elle voulait profiter des talents, au moins de ceux qui avaient un quelque chose avec la Nature. Elle allait commencer à se créer une hiérarchie de valeur dans la population Outre, juste histoire de voir les priorités.

Un homme, plus loin, subissait le coup d'une voiture dans le genoux. Cela n'attira qu'à peine plus de quatre secondes l'attention royale, juste assez pour se dire que ces horreurs
à roues étaient des plaies. Mais au moins, cela restait aussi néfastes pour les Hommes.

Une main délicate poussait donc la porte d'entrée, laissant raisonner un carillon accompagné aussi par une voie décidant de se joindre au court concerto. Oh, que d'amabilité en ces lieux. Cependant, la reine fée ne s'y attarda pas. Rapidement l'attitude avait changée, et elle devait admettre apprécier le retournement. Titania servit donc un sourire de miel alors qu'elle s'avançait dans un chant de bijoux qui s'entrechoquaient.
Bien qu'elle veillait à ne pas trop être tape à l'oeil, elle étudiait un peu ce qui pouvait passer pour exubérant mais pas trop "mystique". Sa coquetterie ne faillirait jamais, autant que son parfum d'anis qu'elle s'entêtait à toujours mettre. Les pans de sa longue jupe terminèrent leur valse en même temps que les mouvements de Titania qui se présentait au comptoir.

À la remarque, un rire discret fut la première réponse.

- Oh, vous savez donc lire dans mon esprit ?

Un peu de douceur taquine alors qu'un de ses index trouva place dans une mèche de cheveux roux d'aurore, ou de crépuscule. Juste pour s'entortiller un peu, ces quelques mèches rebelles qui s'échappait de sa longue natte relâchée pouvaient bien servir à quelque chose. Tout comme cette visite parmi les mortels, du moins ceux avec déjà plus de valeur. De plus, les débuts étaient prometteurs. La reine était amusée.

- J'ai besoin des services d'un certain Skyler Skinner.

Titania se pencha un peu en avant, dans la confidence. Même s'il lui semblait qu'ils étaient seuls. Mis à part la hyène sur le comptoir qui attira le regard et, elle baissa les yeux lorsqu'une de ses chaussures buta sur un tube. Elle daigna se baisser afin de prendre l'objet entre les doigts, et de le déposer sur le meuble.

C'était qu'elle ne souhaitait pas se couvrir de honte en tombant, à cause d'un pas de haut-talon mal placé sur un objet rond. Surtout sur des pastilles pour la gorge.

- Un savoir qui ne concerne pas ce genre de science. Est-ce vous l'homme de la situation ?

Fit-elle alors d'un ongle mi-long tapota sur le tube fraichement arraché au sol. Les yeux sur l'homme du comptoir, presque sûrs qu'il s'agissait sûrement de lui. À en juger par la présence de l'animal, créature à qui elle adressa aussi un sourire. Les animaux de ce genre, elle les préférait tant que les autres devenus copains comme cochon avec les Hommes.